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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 23:02

Chômage : la dangereuse politique du laisser-faire

Par Laurent Mauduit  de Mediapart. C’est décidément un séisme social que connaît la France. Avec chaque mois, une nouvelle vague de demandeurs d’emploi, nourrie par des plans sociaux à n'en plus finir, des charrettes de licenciements ou de ruptures conventionnelles. Un séisme social, qui va porter le chômage dans le courant de l’année 2013 à un niveau historique et que François Hollande s’applique à minimiser, en promettant que la tendance va s’inverser dans le courant de l’année prochaine.

Plus les mois passent et plus l’engagement apparaît fragile. Surtout, moins le chef de l’État peut alléguer de l’héritage pour expliquer cette hausse dramatique. Car la politique d’austérité qu’il conduit commence à peser sur l’activité. Et la politique sociale est notoirement sous-calibrée pour répondre à l’état d’urgence. En bref, cette vague sans précédent de chômage, François Hollande commence à en être lui-même partiellement responsable.

Les chiffres sont catastrophiques. Pour le dix-neuvième mois consécutif, le nombre des demandeurs d’emplois a de nouveau progressé en novembre. La hausse a touché précisément 29 300 personnes (+0,9 %), ce qui porte le nombre des demandeurs d’emplois de la catégorie A, c’est-à-dire la catégorie la plus restreinte, à 3 132 600 en France métropolitaine. Sur un an, le nombre des demandeurs d’emplois a progressé de 304 600, soit une hausse de 10,8 %.

Mais si on prend en compte le décompte le plus large, c’est-à-dire les catégories A, B, C, D et E, on parvient à des chiffres encore plus vertigineux. Le nombre des demandeurs d’emplois est dans ce cas passé de 4 819 300 en novembre 2011 à 5 241 900 en novembre 2012, ce qui correspond à une hausse annuelle de 422 600 personnes. Ce qui laisse sous-entendre que la pauvreté doit, elle-même, gagner actuellement beaucoup de terrain et pourrait franchir la barre des 10 millions de personnes dans le courant de l’année 2013.

« La débâcle de l’austérité »

Le plus préoccupant, c’est que, selon toute vraisemblance, les prochains mois seront aussi sombres. C’est ce que suggère la dernière Note de conjoncture publiée le 20 décembre par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (lire L’alarmante radiographie de l’échec économique). L’Insee fait valoir que la France devrait rester enlisée dans une situation de croissance zéro. Et de ce fait, la France est en passe de battre le record historique du taux de chômage de 11,2 % de la population active qu’elle avait atteint dans le courant de l’année 1997. Après avoir atteint un point bas à 7,7 % au deuxième trimestre de 2008, ce taux de chômage (y compris Dom-Tom) est reparti à la hausse. Et selon l’Insee, il pourrait culminer à 10,5 % fin décembre 2012 avant d’atteindre 10,9 % à fin juin 2013. 

Toujours selon l’Insee, le nombre des chômeurs (au sens du BIT), après avoir augmenté de 226 000 en 2012, devrait continuer de progresser à une vitesse presque aussi rapide au premier semestre de 2013, soit sans doute +109 000 personnes. Compte tenu de ces tendances très défavorables, la plupart des experts estiment très improbable que François Hollande puisse honorer son engagement d’une inversion de la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année.

Certes, il ne ménage pas sa peine pour tenter de convaincre l’opinion du contraire. Ce jeudi matin, il était ainsi au marché de Rungis (Val-de-Marne), de bonne heure, pour rappeler son credo : « À la fin de l’année 2013, nous devons inverser la courbe du chômage. (…)Je devais dans cette période de fêtes dire aux Français que nous devons être tous sur le pont pour le travail et la lutte contre le chômage. (…) L’année, c’est 365 jours, donc ceux qui ont la responsabilité à la tête du pays se doivent d'être présents 365 jours. (…) Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de droit aux vacances et aux congés, mais le président doit être là pour faire comprendre aux Français que le pays est dirigé. » On peut l’écouter ci-dessous, au micro de France Info : Et voici une semaine, vendredi 21 décembre, sur Europe 1, le président avait déjà dit à peu près la même chose. « Le chômage ne va cesser d’augmenter pendant un an », mais « la volonté qui est la mienne, c’est qu'à la fin de l’année 2013, et ça va être long, il y ait une inversion » de la courbe, c’est-à-dire que le chômage « à ce moment-là régressera. »

Pourtant, le message présidentiel relève de la méthode Coué. Par-delà l’aspect aléatoire d’une telle prévision, la seule question qui compte est de savoir si la politique économique et sociale du gouvernement contribue, peu ou prou, à la réalisation de l’objectif. Or plusieurs raisons permettent malheureusement d’en douter.

D’abord, il y a la politique économique d’ensemble du gouvernement qui est marquée par une forte austérité. Afin de ramener les déficits publics à 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2013, le gouvernement a décidé de couper de manière énergique dans les dépenses publiques. Et la décision de mettre en chantier un « choc de compétitivité » en faveur des entreprises, pour un montant de 20 milliards d’euros, a renforcé encore davantage le caractère restrictif de la politique économique française puisqu’il faut, de ce fait, que le gouvernement trouve au total, près de 12 milliards d’euros d’économies par an pour atteindre son objectif d’équilibre des finances publiques d’ici la fin du quinquennat.

Or chacun comprend bien les conséquences d’une telle politique : appliquer de l’austérité à une économie au bord de la récession ne peut que la fragiliser encore plus. Sous le titre La débâcle de l’austérité, c’est ce qu’explique une récente étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), que l’on peut consulter ci-dessous : Le stupide théorème de Schmidt

Du même coup, on comprend la fragilité des prévisions économiques du gouvernement. Le scénario de l’Insee aboutit à ce que « l’acquis de croissance » (ici la définition) ne dépasse pas 0,1 % à la fin du mois de juin 2013. Or le gouvernement a construit tout son budget de 2013 sur une hypothèse de croissance de 0,8 %. Pour que cet objectif soit tenu, il faudrait donc que la croissance accélère brutalement et atteigne des chiffres de l’ordre de 0,8 % au troisième trimestre et de 1,2 % au quatrième trimestre. Ce qui est proprement impensable. Conséquence implacable : sur le front du chômage, la prévision présidentielle pêche, elle aussi, par optimisme. En bref, la politique d’austérité va forcément conduire à plus de chômage que prévu.

Mais à cela s’ajoutent encore d’autres raisons. En particulier, il est apparu de plus en plus nettement au fil de ces derniers mois que le gouvernement a fait le choix de conduire une politique néo-libérale, dite de l’offre. En clair, tout a été fait pour favoriser les entreprises, avec l’arrière-pensée que ces aides conduiraient à une amélioration sur le front de l’emploi et du chômage. C’est la logique supposée du « choc de compétitivité » voulu par le gouvernement, au terme duquel les entreprises vont percevoir 20 milliards d’euros sous forme de crédit d’impôt.

Or, ce choix-là risque de rater sa cible pour deux raisons. La première, c’est qu’aucune étude économique n’atteste que l’amélioration de la situation économique des entreprises conduise à une baisse du chômage. C’est la faille bien connue du fameux « Théorème de Schmidt ». On se souvient que le chancelier allemand Helmut Schmidt avait pris en son temps pour cap ce principe : « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain. » À l'époque, son allié et ami français, Valéry Giscard d'Estaing, avait repris cette maxime à son compte, ce dont se moquaient les socialistes français, non sans raison. Car dans le capitalisme d’actionnaires auquel la France s’est convertie, cela ne fonctionne jamais comme cela : les profits d’aujourd’hui font d'abord… les dividendes de demain.

Et c’est donc le risque pris par le gouvernement : en accordant 20 milliards d’euros de crédits d’impôt aux entreprises, sans leur demander en contrepartie le moindre engagement, il va alimenter le plus souvent des comportements d’aubaine. Cela va tout bonnement venir gonfler les dividendes d’entreprises qui sont déjà très généreuses avec leurs actionnaires, et d’abord les entreprises du CAC 40.

Ce choix d’une politique économique néo-libérale est confirmée par un autre chantier ouvert par le gouvernement, celui de la réforme du marché du travail. Encore une fois, l’arrière-pensée est transparente : l’Élysée veut faire croire qu’une plus grande flexibilité peut conduire à davantage de créations d’emplois. Mais en vérité, beaucoup d’études attestent que l’effet n’est pas exactement celui-là : une plus grande flexibilité peut accroître la rapidité des embauches en période de croissance et accroître celle des licenciements en période de stagnation, mais sans que le stock total d’emplois n’en soit modifié sur une longue période. En clair, la flexibilité crée d'abord… de la flexibilité ! Mais elle ne créée pas plus d’emploi. Ou si elle en crée, ce sont seulement des emplois… précaires !

Ces choix sont révélateurs aussi d’une autre arrière-pensée : si le gouvernement considère que le pays est en situation d’urgence économique, il n’a jamais semblé penser qu’il était aussi en situation d’urgence sociale. Car après tout, il aurait tout aussi bien pu considérer que l’envolée dramatique du chômage exigeait une mobilisation exceptionnelle de tout le pays. Et des moyens financiers tout aussi exceptionnels. En somme, il aurait pu considérer que la baisse du chômage ne serait pas la résultante ultime de la politique économique, mais sa première priorité. Et qu’il convenait, à cette fin, de lancer une sorte de New Deal à la française. Ou une sorte de réunification à l’allemande. Avec un objectif majeur : faire tomber le Mur… du chômage !

  • Mais cette volonté-là, le gouvernement ne l’a visiblement pas. Car si le retour à l’équilibre des finances publiques et le « choc de compétitivité » mobilisent toutes ses marges de manœuvre, il n’en a, par ricochet, plus aucune pour la politique sociale. Pas de « choc anti-chômage » : François Hollande a, de toute évidence, fait le choix de mettre en œuvre des moyens très limités pour faire refluer le chômage.

Les risques de l'effet d'aubaine

Parmi ces moyens, il y a d’abord les emplois d’avenir – nouvelle variante de ce qu’étaient autrefois les « emplois jeunes ». Dans la panoplie infinie des mesures relevant du traitement social du chômage, ces mesures-là sont assurément utiles, puisqu’elles offrent une première expérience professionnelle pour les jeunes de 16 à 25 ans, même si elles sont financièrement coûteuses, l’État assurant le financement du dispositif à hauteur de 75 % du salaire brut pour une rémunération à hauteur du Smic. Encore faut-il que l’État décide de mettre de gros moyens pour que l’effet sur les chiffres du chômage soit sensible.

Or, dans le cas présent, la politique d’austérité choisie par le gouvernement fait peser sur ces contrats d’avenir une très forte contrainte. D’abord, leur nombre sera limité : violant les engagements de son propre parti qui, dans son projet élaboré au printemps 2011, prévoyait 300 000 contrats d’avenir, François Hollande n’en a promis que 150 000 lors de sa campagne présidentielle, soit moitié moins, dont 100 000 dès 2013 et 50 000 en 2014. Il s’en était expliqué par exemple dans une émission de la radio Le Mouv’, le 23 janvier dernier (à écouter à partir de 3’45’’) :

 L’explication avancée pour justifier ce choix retient l’attention. François Hollande faisait en effet valoir que la conjoncture ne permettait pas d'aller au-delà de ces 150 000 contrats : « Dans un premier temps, c’est ce que la croissance nous autorise à financer. » Et quand on y pense, l’argument est terrible. Il peut s’énoncer d’une manière plus directe : plus la croissance est faible, plus le chômage s’emballe, mais plus les moyens financiers dédiés à le faire refluer seront faibles. Le principe énoncé alors par le candidat entérinait donc une sorte de fatalisme ou de résignation : en vérité, on ne peut pas faire grand chose contre le chômage.

Il ponctuait son propos d’une formule à peine plus optimiste : « Si la croissance nous offre des libertés nouvelles, nous en ferons davantage. Mais moi, mon devoir, c’est de dire la vérité. » Mais, avec le recul, en cette fin d'année 2012, dans la conjoncture présente, on en mesure bien les limites : puisque la politique d’austérité conduit durablement à une situation de croissance zéro, il n’y aura pas de « libertés nouvelles » pour créer davantage de contrats d’avenir. C’est l’histoire du chat qui se mort la queue… Accessoirement, le gouvernement a prévu des crédits budgétaires très limités pour financer le dispositif. Le coût de la mesure ne sera en effet que de 2,3 milliards d'euros pour les trois ans à venir, à savoir 500 000 millions d'euros pour 2013, puis 1,5 milliard par an lorsque les emplois d'avenir seront installés. Et le financement sera assuré par le simple redéploiement des exonérations sur les heures supplémentaires. Or que vaut une politique sociale qui ne coûte rien ? La réponse est induite par la réponse : pas grand-chose !

Et puis, selon le gouvernement, il existe un second grand levier dans le traitement social du chômage, ce sont les contrats de génération, qui constituaient l’engagement phare de François Hollande et qui font l’objet d’un projet de loi qui sera examiné par le Parlement dans le courant du mois de janvier.

À la différence des emplois d’avenir, qui est ouvert en priorité aux jeunes sans qualification, ces contrats de génération bénéficieront à tous les jeunes, quelle que soit leur qualification, et les entreprises privées pourront aussi en profiter. Le gouvernement prévoit ainsi un peu plus de 100 000 contrats signés dès 2013, puis environ 130 000 en 2014 et les années suivantes. Soit 500 000 jeunes sur la durée du quinquennat.

Mais les critiques dont ce contrat de génération peut faire l’objet sont encore plus sévères que pour le contrat d’avenir. D’abord, parce que le gouvernement a choisi d’y affecter des moyens financiers encore plus limités : pas plus de 180 millions d’euros en 2013, somme qui sera portée à 540 millions en 2014, puis 790 millions en 2015 et près de 1 milliard en 2016.

Mais surtout, ce contrat de génération risque de susciter un « effet d’aubaine » massif. Lors des primaires socialistes, c’est Martine Aubry qui, la première, avait usé de cette formule cinglante. Et tout le monde y avait vu la manifestation d’une aigreur socialo-socialiste. Pourtant, beaucoup d’experts, même de sensibilité de gauche, donnent raison à l’ex-première secrétaire socialiste.

C’est le cas par exemple de l’économiste Philippe Askenazy (ici sa biographie), qui est chercheur à l’École d’économie de Paris et qui est l’un des meilleurs spécialistes français de l’emploi. « Dans leur grande majorité, même sans exonération de charges, ces jeunes seraient embauchés par les entreprises. L'effet d'aubaine sera majeur », répète-t-il à longueur d’entretien. C’est ce qu’il disait avant même l’élection présidentielle, par exemple ici dans L’Express, et c’est ce qu’il ne cesse de répéter depuis, et notamment ce jeudi dans un reportage (non mis en ligne) sur France Info.

Alors, paraphrasant la formule malheureuse mais révélatrice de François Mitterrand, François Hollande pourra dire qu’il aura « tout essayé contre le chômage ». Tout… ce qu’autorise la doxa néo-libérale. Et on sait qu'elle autorise peu de choses. Un peu de traitement social du chômage, et pour le reste, il faut laisser faire la main invisible du marché. Car, c'est cela, au fond la politique de François Hollande : la dangereuse politique du laisser-faire…

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