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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 22:59
4 août 1789

Abolition des privilèges et des droits féodaux


Dans la nuit du 4 août 1789, les députés de l'Assemblée nationale constituante, dans un bel élan d'unanimité, proclament l'abolition des droits féodaux et de divers privilèges.

Ce moment de grande ferveur nationale s'inscrit parmi les grands événements mythiques de la Révolution française.

Fabienne Manière
La Grande Peur

L'abolition des privilèges est la conséquence inopinée de la prise de la Bastille. Dans les semaines qui suivent celle-ci, les paysans s'émeuvent. Ils craignent une réaction nobiliaire comme il s'en est déjà produit dans les décennies antérieures, avec la réactivation de vieux droits féodaux tombés en désuétude.

Une Grande Peur se répand dans les campagnes. En de nombreux endroits, les paysans s'arment sur la foi de rumeurs qui font état d'attaques de brigands ou de gens d'armes à la solde des «aristocrates». Le tocsin sonne aux églises des villages, propageant la panique.

Chauffés à blanc, les paysans en viennent à se jeter sur les châteaux des seigneurs honnis... tout en proclamant leur fidélité à la personne du roi. Ils brûlent les archives, en particulier les «terriers» qui fixent les droits et les propriétés seigneuriales. Parfois ils maltraitent, violent et tuent les «hobereaux» et leur famille.

Ces soulèvements inquiètent les privilégiés, au premier rang desquels les députés qui siègent à Versailles. À la différence des bourgeois, qui en appellent à la répression, les nobles, plus au courant de la situation, préfèrent l'apaisement. «Le peuple cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête, s'exclame à l'Assemblée le duc d'Aiguillon, l'insurrection trouve son excuse dans les vexations dont il est la victime».

Une décision soudaine

Le 3 août, une centaine de députés, ardents partisans de la Révolution, se concerte sur la stratégie à adopter. Plusieurs sont originaires de Bretagne. C'est le «Club breton» (futur club des Jacobins). Ils prennent en secret la résolution de détruire tous les privilèges des classes, des provinces, des villes et des corporations. Il n'y a rien d'improvisé donc dans la séance qui va suivre...

Le lendemain soir, à huit heures, l'Assemblée, passablement troublée, se réunit et disserte sur les moyens de rétablir l'ordre. C'est alors qu'Armand-Désiré de Vignerod,duc d'Aiguillon (29 ans), qui compte parmi les chefs du Club breton, propose d'offrir aux paysans de racheter les droits seigneuriaux à des conditions modérées. Ce libéral est aussi la deuxième fortune de France après le roi.

Le vicomte de Noailles, un cadet de famille sans fortune, qui a participé à la guerre d'Amérique aux côtés de son beau-frère La Fayette, prend la parole à son tour et surenchérit. Il propose d'en finir avec les droits seigneuriaux, «restes odieux de la féodalité» selon ses termes. Il suggère rien moins que d'«abolir sans rachat» les corvées seigneuriales et autres servitudes personnelles.

L'objectif est de «faire tomber les armes des mains des paysans» selon le mot de l'historien Albert Mathiez. Mais le vicomte de Noailles s'exprime aussi au nom de ses convictions libérales, tout comme le duc d'Aiguillon et la plupart des autres aristocrates de l'Assemblée. Sa proposition déchaîne l'enthousiasme. Les nobles de l'Assemblée montent à tour de rôle à la tribune pour lui exprimer leur soutien. Les idées s'enchaînent à la volée. Le comte de Virieu propose ainsi de détruire les colombiers féodaux, dont les habitants se gavent de grain au détriment des paysans.

Le président Chapelier fait alors observer, non sans malice, qu'aucun membre du clergé ne s'est encore exprimé. L'évêque de Chartres monte à la tribune et propose l'abolition des droits de chasse, ce qui ne lui coûte rien mais pèse sur les nobles. Le duc du Châtelet dit à ses voisins : «L'évêque nous ôte la chasse ; je vais lui ôter ses dîmes». Et, montant à la tribune, il suggère que les dîmes en nature (impôts payés à l'Église par les paysans) soient converties en redevances pécunières rachetables à volonté.

Là-dessus, voilà que sont attaqués les privilèges des provinces. Le mot privilège vient du latin et désigne une «loi particulière» : il fut longtemps synonyme de liberté. En effet, chaque fois qu’une nouvelle province était annexée, le roi promettait de respecter ses privilèges, c’est-à-dire ses libertés, les lois particulières traditionnelles, les coutumes et droits immémoriaux de ses habitants. C’est ainsi qu’au cours des siècles s’étaient imposés des droits garantissant les libertés locales.

Tout cela prend fin en cette nuit mémorable. Les représentants du Dauphiné, suivis par ceux de Bretagne et des autres pays d'État, provinces jouissant de privilèges, font don de ceux-ci à la Nation. Les représentants des villes font de même. Pour finir, un membre du Parlement de Paris proclame le renoncement à l'hérédité des offices (charges de magistrature).

Au milieu des applaudissements et des cris de joie, sont ainsi abattus les justices seigneuriales, les banalités, les jurandes et les maîtrises, la vénalité des charges, les privilèges des provinces et des villes. «Et le roi, messieurs, dit le marquis de Lally-Tollendal, fils de l'ancien gouverneur des Indes françaises, le roi qui nous a convoqués après une si longue interruption de deux siècles, n'aura-t-il pas sa récompense ?... Proclamons-le le restaurateur de la liberté française !».

Laissons à l'historien Jules Michelet le mot de la fin :

«La nuit était avancée. Il était deux heures. Elle emportait, cette nuit, l'immense et pénible songe des mille ans du Moyen Âge. L'aube qui commença bientôt était celle de la liberté.
Depuis cette merveilleuse nuit, plus de classes, des Français ; plus de provinces, une France.
Vive la France !»

Une application mesurée

Passé le moment d'euphorie, les députés prennent le temps de réfléchir. Ils décident que seuls les droits féodaux pesant sur les personnes seront abolis sans indemnité d'aucune sorte.

L'avocat Adrien Duport, ardent député, rédige le texte final. Il est voté et publié le 11 août au soir. Avec lui disparaissent à jamais certains archaïsmes comme la corvée obligatoire, de même que des injustices criantes comme la dîme ecclésiastique, uniquement payée par les pauvres.

Certains autres droits féodaux, ceux pesant sur les terres comme les cens et leschamparts, devront toutefois être rachetés. À cette seule condition, les paysans pourront devenir propriétaires de plein droit de leurs terres.

Sitôt connue,  cette restriction suscite quelques désillusions dans les campagnes mais elle est abrogée quelques mois plus tard. L'ensemble des droits féodaux est irrévocablement aboli sans contrepartie ni exception par le décret du 25 août 1792, quelques jours après la chute de la monarchie.

Tous (ou presque) égaux

À la faveur de la grande séance parlementaire qui a vu disparaître d'un coup les distinctions de classe de même que les particularismes locaux, l'égalité de tous les citoyens devant la Loi devient la règle (aujourd'hui encore, elle est au coeur de tous les débats politiques). Les députés tirent les conséquences de leur vote en préparant une solennelle Déclaration des Droits en préambule à la future Constitution.

Ils font toutefois une exception au principe d'égalité en repoussant «l'abolition de l'esclavage des Nègres» dans les colonies, proposée par le duc François de la Rochefoucaud-Liancourt, adepte du progrès technique et de la philosophie des«Lumières».

Ce dernier, aristocrate éclairé, va tenter de suppléer à la ruine de nombreuses institutions caritatives de l'Église catholique, privées re revenus suite à la disparition des droits féodaux, en mettant en place un comité de mendicité. Mais ce comité ne résistera pas aux troubles de la Révolution, et à la fin de celle-ci, dix ans plus tard, les pauvres des campagnes et des villes auront vu leur condition se dégrader notablement.

A posteriori, la Nuit du 4 Août n'apparaît pas seulement comme une victoire de l'égalité civile. C'est aussi une avancée importante du centralisme administratif sur les us et coutumes locaux : en-dehors de la norme reconnue à Paris, il n'y a plus de légitimité.

On peut retenir cette conclusion d'Alexis de Tocqueville dans L'Ancien Régime et la Révolution : «Vous apercevez maintenant un pouvoir central immense qui a attiré et englouti dans son unité toutes les parcelles d'autorité et d'influence qui étaient auparavant dispersées dans une foule de pouvoirs secondaires, d'ordres, de classes, de professions, de familles et d'individus, et comme éparpillées dans tout le corps social».

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